Émile Desmaisons (1812-1880), lithographe. Source BNF, Gallica.
Dans la série : » Ils auraient certainement opté pour des toilettes sèches », nous ne pouvions commencer par personne d’autre que le grand auteur français, Victor Hugo.
Victor Hugo, monument de la littérature et défenseur de la justice sociale, contribua à bâtir des valeurs qui le dépassaient lui-même, ce qui fit de lui un grand homme. Et c’est en abaissant son regard sous sa propre condition sociale qu’il est parvenu à discerner des vérités que nul ne cherchait à connaître.
Mais, si son œuvre sociale est célèbre par son roman « Les misérables », son attention s’est posée sur un autre sujet tabou qui l’est encore aujourd’hui, nos déjections.
Voici donc quelques arguments trouvant leur source au Panthéon même, à mettre au crédit des toilettes sèches qui, selon nous, auraient convaincu le grand Victor Hugo.
N’en doutons pas, comme vous, l’illustre auteur aurait choisi une Lécopot. Mais sur quel modèle se serait penché son illustre posté(rio)rité ? Nos hypothèses en fin d’article.
Commençons par penser en génie en nous glissant dans l’argumentaire tourmenté d’un romantisme échevelé et lumineux, jusqu’aux confins de nos ténébreuses scatologies.
Allez, c’est parti !
Une richesse perdue
Victor Hugo écrivait que :
« Tout l’engrais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d’être jeté à l’eau, suffirait à nourrir le monde »***, dans les Misérables, Partie 5, Livre 2, chapitre 1 « La terre appauvrie par la mer ».
Ce seul extrait suffirait à quiconque considère Victor Hugo comme chantre de l’humanisme moderne, à récolter chaque « fruit » de mammifère entre ses mains pour tel un précieux trésor, les déposer sur un lit de paille et les bénir chaque jour, durant deux années, avant de répandre le fertile nectar sur ses terres arables. Si j’en fais trop, vous me le dites.
Mais Victor va plus loin :
« C’est la substance même du peuple qu’emportent, ici goutte à goutte, là à flots, le misérable vomissement de nos égouts dans les fleuves et le gigantesque vomissement de nos fleuves dans l’Océan. Chaque hoquet de nos cloaques nous coûte mille francs. » , « La terre appauvrie et l’eau empestée. La faim sortant du sillon et la maladie sortant du fleuve. »
Voilà qui renvoie directement à notre slogan préféré : » Préserver l’eau, nourrir la terre « . En voulant soustraire à nos sens les conséquences de nos appétits, nous nions le principe même de « cycle du vivant » et cela nous coûte cher. Mais plus que cela, nous empruntons aux générations futures une somme que le réchauffement climatique décuple. Aujourd’hui, nous vivons tous avec cette conscience coupable de peser sur la terre un poids bien trop lourd.
Un savoir oublié, déjà à l’époque
« La science, après avoir longtemps tâtonné, sait aujourd’hui que le plus fécondant et le plus efficace des engrais, c’est l’engrais humain. Les Chinois, disons-le à notre honte, le savaient avant nous. Pas un paysan chinois, c’est Eckeberg qui le dit, ne va à la ville sans rapporter, aux deux extrémités de son bambou, deux seaux pleins de ce que nous nommons immondices. »
Y a-t-il aujourd’hui plus forte image d’un état de fait absurde et paraissant inéluctable. Alors que science, nature, richesse et bon sens s’alignent pour pointer la transformation de nos ressources en terre fertile, nous allons payer au prix fort des engrais à la Russie, ce qui indirectement financerait l’effort de guerre russe. Ironie du sort. (Lire l’article de Ouest France du 7 mai 2024).
Le chinois, disons-le avec honte, nous vend cher son seau de caca.
Absurdité moderne
« On expédie à grands frais des convois de navires afin de récolter au pôle austral la fiente des pétrels et des pingouins, et l’incalculable élément d’opulence qu’on a sous la main, on l’envoie à la mer. Tout l’engrais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d’être jeté à l’eau, suffirait à nourrir le monde. »
La raison en est que nous ne sommes plus reliés au vivant, c’est-à-dire aux causes et aux conséquences de notre existence sur terre. Aujourd’hui, ce sont les engrais chimiques qui font tourner une industrie alors que nous payons trois fois. D’abord pour nous débarrasser de nos excrétas honteux, ensuite pour nettoyer l’eau qui leur a servi de véhicule et enfin pour enrichir les sols que nous n’avons pas su préserver avec nos productions personnelles.
En fin de compte, la gestion de nos déchets illustre parfaitement notre rapport au monde. Le rejet.
Les égouts, un au-delà de nous-même
« L’égout, c’est la conscience de la ville. Tout y converge et s’y confronte. Dans ce lieu livide, il y a des ténèbres, mais il n’y a plus de secrets. Chaque chose a sa forme vraie, ou du moins sa forme définitive. Le tas d’ordures a cela pour lui qu’il n’est pas menteur. La naïveté s’est réfugiée là. […] Toutes les malpropretés de la civilisation, une fois hors de service, tombent dans cette fosse de vérité où aboutit l’immense glissement social. […] Ce pêle-mêle est une confession. Là, plus de fausse apparence, aucun plâtrage possible, l’ordure ôte sa chemise, dénudation absolue, déroute des illusions et des mirages, plus rien que ce qui est, faisant la sinistre figure de ce qui finit. Réalité et disparition. […] Tout ce qui se fardait se barbouille. Le dernier voile est arraché. Un égout est un cynique. Il dit tout. »
Tout est dit ici du déni, du refoulement qu’opère la machine étatique qui, si elle nous représente, peine à lever le miroir sur sa propre « faillite » et, dès lors, se perd. Alors que ce qui fait exister une démocratie est sa capacité à faire la lumière là où la dictature cultive l’obscurité, certaines zones d’ombres perdurent comme celle qui nous intéressent et qui est, pour nous, fondamentale. On ne peut pas avancer sans prendre en charge l’ensemble de ce que nous sommes et ce qui nous sauvera est justement notre capacité à faire la lumière sur les faits.
Victor Hugo nous montre la voie
« Paris jette par an vingt-cinq millions à l’eau. Et ceci sans métaphore. […] Le plus fécondant et le plus efficace des engrais, c’est l’engrais humain. […] Il n’est aucun guano comparable en fertilité au détritus d’une capitale. Une grande ville est le plus puissant des stercoraires. Employer la ville à fumer la plaine, ce serait une réussite certaine. Si notre or est fumier, en revanche, notre fumier est or. […] Rendez cela au grand creuset ; votre abondance en sortira. La nutrition des plaines fait la nourriture des hommes. » (Pour rappel, nous sommes au 19ᵉ siècle. Quand est-il aujourd’hui ?).
C’est un appel puissant qui pourrait se retrouver accroché à chaque chasse d’eau de chaque Parlement d’Europe. Imaginez l’élu sur son trône, lisant cet auguste plaidoyer et se disant enfin : *** ». Il est donc possible d’économiser tout en s’enrichissant ? Et si j’étais ce Victor Hugo des temps post-modernes. Et si je menais une grande vague de révolution des consciences qui préserverait ces terres des troubles du siècle tout en renouvelant la démocratie et ainsi, la confiance que nous lui portons « .***
Ah que vienne ce nouveau Victor et que nous vienne cette nouvelle victoire.
Un lieu d’exil
Mais si Victor Hugo eut été, nous venons de le prouver, un fervent partisan des toilettes sèches, il nous reste à trouver sur quelle forme de creuset le poète eut pu épancher son surplus d’inspiration.
Victor Hugo a eu plusieurs résidences au cours de sa vie. Au fur et à mesure que sa famille grandissait, mais également à cause du long exile qu’il lui fallut subir puis choisir, pour rester fidèle à ses convictions.
La résidence en ville :
Stable et imposant, Le Cagaròl aurait pu occuper les cabinets d’aisance de la maison de la Place des Vosges. Loin d’être austère, les maisons de Victor Hugo regorgeaient d’œuvres d’arts et pas un espace n’étaient laissés vacant. Peu de frontières entre art et artisanat, décoration et utilitaire, mais de l’esprit partout.
La résidence en campagne :
En plus des toilettes intérieures, La Famille Hugo aurait certainement intégré une cabine large et confortable réalisée par un artisan français pour permettre à chacun de s’isoler sous les bienveillantes frondaisons du jardin de Guernezay.
En conclusion
Ça fait du bien de se replonger dans d’autres époques, dans d’autres lieux, de retrouver l’esprit qui pouvait régner alors et découvrir de grands personnages dans ce qu’ils avaient d’originaux et d’engagés pour, nous-même, nous investir dans ce que l’on croit être juste. S’engager comme vous le faites pour changer les choses est un mouvement puissant.
C’est déjà fini ?
Quels autres personnes ou personnages célèbres auraient pu prendre le tournant des toilettes sèches. Nous avons quelques idées. Mais nous sommes curieux de connaître les vôtres. Proposez-nous quelques illustres personnalités et pourquoi vous les avez choisies. Nous serions heureux d’échanger là dessus.
À bientôt !